De l'antiquité à aujourd'hui : le retour en force des assemblées citoyennes
- Katarina Dobric
- 28 juil.
- 10 min de lecture

Face au constat d'un déficit démocratique et d'une défiance croissante envers les institutions traditionnelles, de nouveaux outils de démocratie participative émergent pour redonner la parole aux citoyens. Parmi ces outils démocratiques, les assemblées citoyennes se positionnent comme une réponse concrète aux enjeux de participation et de légitimité politique.
En mars 2025, nous avons organisé un webinaire sur ce sujet et avons eu la chance d'inviter la ville de Poitiers pour nous partager leur expérience, le fonctionnement de leur Assemblée Citoyenne et Populaire et les défis rencontrés sur le terrain. Nous avons donc souhaité revenir sur ce dispositif démocratique, pour vous présenter à la fois les fondements théoriques des assemblées citoyennes, le retour d'expérience pratique de Poitiers et les clés de réussite pour implanter ce type de démarche participative.
Mais à quelles problématiques les assemblées citoyennes peuvent-elles véritablement répondre ? Comment fonctionnent-elles concrètement ? Quels enseignements peut-on tirer des expériences territoriales ? Voici un tour d'horizon complet de cet instrument démocratique qui transforme la façon dont citoyens et élus collaborent.
Une définition au service de l'action collective
Une assemblée citoyenne est un espace de délibération et de prise de décision collective permettant aux citoyennes et citoyens de débattre et d'agir sur des enjeux locaux ou sociétaux. Elle constitue un pont entre la société civile et les institutions, offrant un cadre structuré pour l'expression démocratique.
Des racines historiques aux innovations contemporaines
Les assemblées citoyennes trouvent leurs racines dans la démocratie athénienne du Ve siècle avant J.-C. L'ecclésia constituait l'assemblée du peuple athénien, réunissant les citoyens (les hommes de plus de 18 ans). Cette institution révolutionnaire pour l'époque permettait aux citoyens de débattre et de voter les lois, d'élire les magistrats et de prendre les décisions majeures concernant la cité.
Après la chute de la démocratie athénienne, le concept d'assemblée citoyenne disparaît progressivement du paysage politique occidental. L'émergence des monarchies absolues, puis l'avènement de la démocratie représentative aux XVIIIe et XIXe siècles, privilégient la délégation du pouvoir à des élus plutôt que la participation directe des citoyens.
Le concept d'assemblée citoyenne commence à renaître dans les années 1970-1980, notamment avec l'émergence des mouvements participatifs et des critiques de la démocratie représentative. Les premières expérimentations voient le jour au niveau local, portées par des municipalités soucieuses de renouer le lien avec leurs citoyens.
Des objectifs ambitieux pour revitaliser la démocratie
Les assemblées citoyennes poursuivent plusieurs objectifs fondamentaux : l'inclusion, la représentativité et la délibération.
Leur mission principale consiste à créer un espace où les habitants peuvent débattre, proposer des idées, élaborer des solutions concrètes pour les défis locaux et décider ensemble de leur mise en œuvre.
Ces dispositifs visent à redonner du pouvoir d'action aux citoyens en permettant une participation active aux décisions qui les concernent. Ils favorisent également une culture du débat en encourageant des discussions ouvertes et constructives, tout en rétablissant la confiance entre citoyens et institutions par la création d'un dialogue direct. Enfin, ils contribuent à former les habitants aux affaires publiques en les sensibilisant à la prise de décision collective et aux enjeux politiques.
Les années 2000 marquent un tournant décisif avec la multiplication des expériences d'assemblées citoyennes à travers le monde. Plusieurs facteurs expliquent cela :
La crise de confiance démocratique : l'abstention croissante, la méfiance envers les élus et la montée des populismes poussent les institutions à rechercher de nouvelles formes de légitimité politique.
Les innovations méthodologiques : le développement de techniques d'animation démocratique, de délibération structurée et de facilitation permet d'organiser efficacement des débats citoyens de grande ampleur.
Les outils numériques : les plateformes participatives, les sondages délibératifs en ligne et les outils de vote électronique facilitent l'organisation et le suivi des assemblées citoyennes.
Comment fonctionnent les assemblées citoyennes ?
Une méthodologie rigoureuse et éprouvée
Les assemblées citoyennes suivent une méthode rigoureuse développée au fil des années pour garantir un processus démocratique de qualité. Cette approche repose sur trois piliers essentiels : le tirage au sort, l'encadrement professionnel et la restitution publique.
Qui participe ?
Contrairement aux sondages classiques, le tirage au sort des assemblées citoyennes vise à créer un "mini-public" représentatif de la société, capable de réfléchir ensemble sur des sujets complexes. Cette méthode garantit que l'assemblée ressemble à la population locale, avec des personnes d'âges, de milieux et d'horizons différents
Un accompagnement neutre et professionnel
Des professionnels spécialement formés animent les séances. Leur rôle est crucial : ils structurent les débats sans jamais influencer les opinions. Ils veillent à ce que chacun puisse s'exprimer, gèrent les éventuels désaccords et aident le groupe à avancer ensemble.
Des spécialistes (chercheurs, professionnels, représentants d'associations) sont également mobilisés. Ils apportent des informations factuelles pour nourrir la réflexion. Ils répondent aux questions techniques mais ne donnent jamais leur avis personnel sur les solutions à adopter.
Trois phases pour construire des recommandations solides
Phase 1 - S'informer et se connaître
Les participants découvrent le sujet en profondeur grâce à un dossier complet, des présentations d'experts et parfois des visites de terrain. En parallèle, le groupe apprend à fonctionner ensemble.
Phase 2 - Débattre et approfondir
C'est le cœur du processus. Les participants travaillent en groupes pour explorer tous les aspects du problème. Différentes techniques d’intelligence collective existent : débats structurés, analyse des avantages et inconvénients, mise en situation, construction de scénarios.
Phase 3 - Synthétiser et proposer
Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour synthétiser et structurer des propositions avant leur soumission au conseil municipal : vote pondéré pour hiérarchiser les recommandations, consensus progressif par élimination des points de désaccord, ou encore organisation d'un "hackathon citoyen"" comme à Poitiers où citoyens, élus et agents délibèrent ensemble pour sélectionner les actions les plus pertinentes à mettre en œuvre.
Les assemblées citoyennes ne se contentent pas de consulter : elles créent un véritable dialogue entre citoyens, élus et l’administration. Cette co-construction permet de produire des solutions à la fois innovantes et réalisables, en combinant l'expertise citoyenne, la connaissance technique et la faisabilité politique.
Des expériences territoriales riches d'enseignements
La Métropole de Lyon : une approche ouverte et inclusive
La Métropole de Lyon propose un modèle original d'assemblée citoyenne qui se distingue des dispositifs classiques par tirage au sort. Cette assemblée fonctionne un peu différemment : elle est inscrite dans le Conseil de développement et adopte une approche résolument inclusive.
L'Assemblée citoyenne du Conseil de développement rassemble tous les acteurs et habitants qui veulent participer de manière constructive à l'avenir de leur territoire. Contrairement aux assemblées par tirage au sort, aucune limite n'est fixée sur le nombre de participants, favorisant ainsi la participation la plus large possible.
Les objectifs de cette assemblée sont nombreux et diversifiés : faire remonter les préoccupations des habitants, mettre en lumière les signaux faibles et les transformations sociétales et proposer un débat de qualité en confrontant les différents points de vue.
Elle se réunit plusieurs fois par an dans des lieux emblématiques de la métropole et regroupe des citoyens ainsi que les représentants des associations, collectifs et instances participatives locales. Dans ses Assemblées citoyennes, le Conseil de développement s'efforce en particulier d'inclure les jeunes et les personnes éloignées de la participation traditionnelle.
Une plateforme numérique au service de la participation
La Métropole de Lyon s'appuie sur leur plateforme participative pour faciliter et enrichir la participation citoyenne. Une plateforme dédiée centralise toutes les informations sur les instances participatives, garantissant la transparence des processus même si les réunions se déroulent en présentiel.
Cette plateforme propose plusieurs fonctionnalités :
Inscription simplifiée : des questionnaires en ligne permettent aux citoyens de s'inscrire facilement aux assemblées ;
Évaluation : des questionnaires spécifiques recueillent les avis des participants après les assemblées, permettant d'améliorer constamment le dispositif ;
Information centralisée : toutes les ressources, comptes-rendus et sont accessibles en un seul endroit.
Cette approche hybride, mêlant rencontres physiques et outils numériques, permet à la fois de maintenir la richesse des échanges directs et d'élargir la participation grâce à la facilité d'accès du numérique.
L’Assemblée Citoyenne et Populaire de Poitiers
Créée en 2021, l'Assemblée Citoyenne et Populaire (ACP) de Poitiers illustre une approche innovante de la démocratie participative, portée par une volonté politique forte de transformer la relation entre citoyens, élus et administrations.
Cette expérience nous a été présentée par Hélène Charles et Arthur Martineaud, chargés de mission Participation citoyenne de la ville de Poitiers, intervenants invités de notre webinaire.
Un projet politique au service du renouveau démocratique
L'équipe municipale de Poitiers a conçu cette assemblée avec trois objectifs ambitieux : recréer du lien entre les habitants et les élus pour restaurer la confiance, renouveler la démocratie locale en redonnant une voix à chacun (avec une attention particulière aux personnes éloignées de la vie municipale) et placer les citoyens au cœur de la prise de décision.
Cette démarche s'inscrit dans une logique d'expérimentation assumée. Comme l'explique Hélène Charles :
"Dès le départ, on va tenter des choses, on tente des principes de fonctionnement, on fera un bilan après chaque cycle de travail et on fera des ajustements pour que ça fonctionne encore mieux."
Une méthodologie de co-décision
L'ACP de Poitiers est une instance de débat, d'espace de délibération et de vote ouverte à toutes les citoyennes et tous les citoyens (les personnes qui travaillent, habitent ou étudient à Poitiers). Le défi principal consiste à toucher les habitants éloignés de la vie municipale, pour élargir la participation au-delà des personnes déjà impliquées et connaissant le système.
Le principe de co-décision constitue le cœur du dispositif : citoyens, élus et agents travaillent ensemble pendant tout le processus et dans la décision finale. Les sujets sont proposés et choisis par les membres de l'assemblée citoyenne, puis appropriés, débattus collectivement avant de donner lieu à des propositions d'actions concrètes que l'équipe municipale s'engage à mettre en œuvre.
Un processus en évolution constante
Le dispositif a commencé par une assemblée de préfiguration qui a travaillé en 2021 à définir la nature et le fonctionnement de l'assemblée citoyenne. Cette phase préparatoire a réuni habitants volontaires et tirés au sort, membres d'instances de quartier, élus et agents municipaux.
Après la délibération de création en mars 2022, deux cycles ont été organisés. Le premier cycle (avril 2022 - octobre 2023) a traité des incivilités dans les espaces publics, sujet choisi par l'assemblée citoyenne. Le second cycle (octobre 2024 - mars 2025) porte sur l'accès à une alimentation de qualité et locale pour la population, notamment en situation de fragilité économique.
Les principes de leur assemblée
L'expérience du premier cycle a permis d'ajuster la méthodologie pour mieux engager les participants. Le cycle 2 se déroule selon un processus raccourci et optimisé en six étapes :
Phase de mobilisation (septembre 2024) : Le recrutement s'effectue par tirage au sort sur adresses puis par du porte-à-porte, permettant d'engager une cinquantaine de personnes volontaires.
Proposition des sujets (octobre 2024) : Une session réunit les personnes tirées au sort, les élus, les agents municipaux et les anciens participants du premier cycle qui viennent passer le flambeau et assurer le relais d'expérience.
ACP#1 - Choix du sujet (novembre 2024) : Après délibération collective, un vote permet de définir le sujet qui sera travaillé par l'assemblée.
ACP#2 - Débats contradictoires (février 2025) : Une journée entière est dédiée à explorer le sujet en profondeur à travers des débats contradictoires structurés.
ACP#3 - Hackathon citoyen (mars 2025) : Neuf actions concrètes sont soumises à l'assemblée lors d'un "hackathon" où citoyens, élus et agents délibèrent et votent ensemble pour sélectionner les propositions à mettre en œuvre.
Temps de bilan et validation (juin 2025) : Une délibération finale acte la mise en œuvre de l'action retenue en conseil municipal, officialisant l'engagement de la collectivité.
Des dispositifs pour favoriser la participation
Poitiers a développé plusieurs dispositifs pour faciliter l'engagement citoyen. Les réunions se déroulent dans différents quartiers, la communication utilise des supports visuels adaptés au public allophone, l'interprétariat en langue des signes française (LSF) est disponible et la garde d'enfants est systématiquement proposée.
Le principe "une personne, une voix" est scrupuleusement respecté, qu'il s'agisse d'élus, d'agents ou de citoyens. Des facilitateurs neutres garantissent l'égalité dans les temps de parole et veillent à ce que l'influence ne biaise pas les débats.
Le processus a été resserré sur une journée complète pour répondre aux difficultés de mobilisation sur le long terme, et la convivialité est cultivée à travers des moments de partage et des "respirations théâtrales".
Des défis et des enseignements précieux
L'expérience révèle néanmoins certaines limites. Le renouvellement des personnes volontaires pose question, et les personnes tirées au sort, souvent éloignées de la vie publique, restent difficiles à mobiliser durablement. Lors de la séance du 8 février, seules 6 personnes sur 60 participants étaient issues du tirage au sort.
La répartition sociologique montre une surreprésentation des 60-74 ans, des femmes et des catégories socioprofessionnelles supérieures. Cette composition interroge sur les moyens de toucher effectivement les publics éloignés de la participation traditionnelle.
D'autres défis émergent : comment équilibrer le poids de la parole des élus, trouver le bon rythme entre appropriation du sujet et engagement demandé aux participants ou encore accompagner les agents municipaux dans cette nouvelle posture de travail avec les citoyens.
Malgré ces défis, l'ACP de Poitiers génère des transformations profondes dans l'écosystème local. Comme le soulignent les chargés de mission :
"Ça fait bouger tout le monde une assemblée citoyenne, ça fait bouger les citoyens qui apprennent le fonctionnement de la collectivité, qui sont en relation avec des élus et des agents, ça fait bouger les élus, ça fait bouger les agents."
Cette expérimentation poitevine démontre qu'au-delà des résultats concrets, les assemblées citoyennes transforment les pratiques démocratiques et les relations entre les acteurs du territoire. Elle confirme l'importance d'accepter l'imperfection du processus pour mieux l'ajuster et illustre que la co-construction démocratique nécessite du temps, de la méthode et une volonté politique soutenue.
L'assemblée citoyenne, un modèle démocratique qui fait ses preuves
Les assemblées citoyennes incarnent bien plus qu'un simple outil participatif : elles révèlent une transformation profonde de nos pratiques démocratiques. Des innovations lyonnaises aux expérimentations poitevines, ces dispositifs démontrent qu'il est possible de réconcilier citoyens et institutions autour d'un projet commun.
Si les défis restent nombreux (représentativité sociale, mobilisation dans la durée, équilibre des pouvoirs), les enseignements tirés de ces expériences territoriales ouvrent des perspectives prometteuses.
Au-delà des recommandations qu'elles produisent, les assemblées citoyennes transforment tous leurs acteurs : citoyens qui découvrent les rouages de l'action publique, élus qui s'ouvrent à de nouvelles formes de légitimité, agents qui repensent leur relation au territoire. Cette triple transformation constitue peut-être leur plus grande réussite.
Face aux crises de confiance démocratique contemporaines, les assemblées citoyennes proposent une méthode : celle du dialogue patient, de la délibération éclairée et de l'engagement partagé. Un chemin exigeant mais nécessaire pour redonner du sens à l'action collective.
L'avenir de nos démocraties se joue peut-être dans ces espaces d'expérimentation où se réinvente, jour après jour, l'art de décider ensemble.