La participation citoyenne est confrontée à un défi majeur : une participation inclusive et représentative. Trop souvent, ce sont les mêmes profils – les "TLM" ou "Toujours Les Mêmes" – qui s'impliquent dans les dispositifs participatifs, tandis qu’une partie de la population demeure éloignée de ces démarches. Les raisons sont multiples : manque de temps, précarité sociale, barrières culturelles ou encore sentiment d’illégitimité.
Comment, alors, dépasser ces freins et encourager une participation plus inclusive ? Cet article explore les bonnes pratiques et une initiative mise en place par la ville de Pantin : un dispositif qui s’appuie sur l’entreprise à but d’emploi du territoire PAM!, pour aller vers les publics dans les Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV).
Les TLM : décryptage
Les dispositifs de démocratie participative – qu’il s’agisse d’outils numériques, de conseils de quartiers, d’ateliers citoyens, ou encore de débats publics – attirent un profil de participant assez homogène, les “TLM”. On y retrouve principalement des personnes plus âgées que la moyenne, disposant d’un niveau de diplôme élevé et appartenant à une catégorie sociale plutôt favorisée. Ces citoyens engagés manifestent un intérêt pour la vie publique et, parmi eux, les retraités jouent un rôle prépondérant, souvent déjà engagés.
Si ces profils sont surreprésentés, c’est aussi parce que d’autres catégories de la population rencontrent des freins à la participation. Les raisons de cette non-participation sont multiples et variées. La disponibilité joue un rôle central : par exemple, ceux qui doivent jongler entre une activité professionnelle et des obligations familiales manquent souvent de temps pour s’engager dans ces démarches. Mais d’autres facteurs entrent également en jeu. La précarité sociale constitue un frein important, tout comme certains obstacles culturels. Un manque de sensibilisation à la vie publique, un sentiment d’illégitimité ou d’absence de reconnaissance, voire une lassitude générale vis-à-vis de la politique, contribuent à éloigner une partie de la population des dispositifs participatifs.
Dès lors, comment élargir cette participation et toucher celles et ceux qui en sont aujourd’hui éloignés ?
Toucher les publics éloignés de la participation citoyenne
Pour surmonter ces obstacles et encourager une participation plus inclusive, il devient essentiel de repenser notre approche et de mettre en place des dispositifs pour aller chercher ces publics éloignés de la vie publique et de la participation citoyenne.
Chez Cap Collectif, nous avons tenté d'identifier les obstacles à la participation en menant un atelier de co-construction pendant les REPC (Rencontre Européenne de la Participation Citoyenne). Cet atelier visait à explorer les meilleures pratiques pour inclure les publics souvent invisibles et difficiles à mobiliser.
Lors de cette session, les participants ont été invités à analyser les obstacles spécifiques à chaque public cible, à comprendre les freins à leur participation, et à proposer des bonnes pratiques adaptées à leurs réalités.
Voici quelques bonnes pratiques commun à tous les publics :
Les bonnes pratiques générales
Concevoir des modalités de participation hybrides : L'une des clés de l'inclusivité réside dans la création de dispositifs combinant numérique et présentiel. Les participants ont souligné l'importance d’adapter les horaires des événements et de fournir des services d'accompagnement, comme des garderies pour les enfants ou des lieux de rencontre stables et accessibles.
Adopter l’approche du “aller vers” : L'une des approches les plus efficaces pour atteindre les groupes difficiles à mobiliser est de directement aller à leur rencontre. Cela peut se faire par des visites porte-à-porte, en participant à des événements communautaires comme des festivals ou en collaborant avec des associations locales telles que les missions locales. Il est essentiel que des interlocuteurs de confiance soient présents pour favoriser l'engagement des habitants.
Communiquer efficacement : Pour rendre l’information accessible à tous, il est important de diversifier les supports de communication. Utiliser des outils visuels, comme des affiches, des emails, ou des flyers, peut rendre les démarches plus compréhensibles. De plus, les réseaux sociaux doivent être utilisés de manière ciblée pour toucher chaque groupe spécifique.
Retour d’expérience : La ville de Pantin et l’entreprise PAM! face aux défis du budget participatif
Le 5 février, nous avons organisé un webinaire sur cette question : comment rompre le cercle des ‘TLM’ ?
Lors de ce webinaire, Simon Bouhoulou, Responsable du pôle participation citoyenne et du développement social urbain, Catfish Tomei, Directeur de l’entreprise PAM!, ainsi que Tim Hartmann, Responsable solidarité de l’entreprise PAM!, sont venus témoigner de leurs réflexions et expériences sur le budget participatif pantinois.
Le budget participatif pantinois
Le budget participatif pantinois a été créé en 2018. Après quatre éditions, une révision globale du dispositif a été lancée en 2023 afin de repenser son architecture. Cette révision a impliqué toutes les parties prenantes : les services de la ville, les porteurs de projets lauréats, ainsi que les pantinoises et pantinois ayant déposé des projets lors des éditions précédentes.
Ce processus de révision a mis en évidence plusieurs constats. Les trois QPV (Quatre Chemins, Courtillières et, en partie, Mairie-Hoche) se distinguent par un nombre important de projets déposés, porté par un tissu associatif particulièrement dynamique. Toutefois, cette dynamique ne se retrouve pas dans la répartition des projets lauréats ni dans l’allocation finale des budgets par quartier. Une hypothèse avancée est la dilution des votes, due au grand nombre de projets en concurrence dans les QPV, en particulier aux Quatre Chemins, ainsi qu'à une participation plus faible des publics habituellement éloignés des dispositifs de démocratie participative.
Suite à cette révision, L'objectif était donc de renforcer la participation des publics plus éloignés, avec plusieurs changements apportés à l'organisation et au règlement du budget participatif.
"Quand on réfléchit à inclure davantage les personnes éloignées de la participation, il faut penser le processus plus large et s’interroger sur l’ensemble du dispositif, l’ensemble du budget participatif." Témoigne Simon Bouhoulou
Pour répondre à ces enjeux, plusieurs modifications ont été apportées au règlement afin de rééquilibrer la répartition des budgets alloués et de limiter la dynamique de sous-financement des projets dans les quartiers prioritaires. Par exemple, le nombre minimum de projets lauréats par quartier a été doublé, passant de un à deux, tandis que l’enveloppe budgétaire par projet a été réduite de 100 000 à 50 000 euros afin de favoriser une répartition plus équitable des financements.
Par ailleurs, des dispositifs plus spécifiques ont été mis en place pour aller à la rencontre des habitants des QPV et les encourager à participer. Les équipes de Pantin se sont d’abord interrogées sur leur posture : Étions-nous les mieux placés pour aller chercher ce public et parler du budget participatif, en raison des barrières linguistiques et des difficultés de communication ? témoigne Simon.
Ils ont donc testé deux solutions :
Le recrutement de 6 vacataires pour aller à la rencontre des jeunes et des habitants des QPV, afin de les informer sur le budget participatif et de susciter leur engagement.
La deuxième solution, qui a rencontré un grand succès, était l’implication de l'entreprise à but d’emploi PAM!
L’entreprise à but d’emploi PAM! : la démarche du aller-vers
L’entreprise à but d’emploi PAM! est née d’une volonté de répondre à des besoins concrets sur le quartier des Quatre-Chemins à Pantin :
un taux de chômage de longue durée de 28% en 2022,
un taux de pauvreté de 38%, et une grande diversité culturelle, avec 42% de résidents de nationalité étrangère.
Le « aller-vers » est au cœur de leur démarche, permettant à l’équipe de PAM! d’aller à la rencontre des habitants dans leur environnement quotidien pour mieux comprendre leurs besoins et leur offrir des services adaptés à leurs réalités locales. Grâce à leur connaissance intime du quartier et à leur diversité linguistique – plus de 20 langues parlées – ils facilitent la communication, notamment avec ceux qui ne maîtrisent pas nécessairement le français.
Les services de la ville ont donc fait appel aux équipes de PAM! pour promouvoir la phase de vote du budget participatif pendant plus d’un mois.
PAM! pour promouvoir le budget participatif
Lors de la phase de vote du budget participatif, pendant plus d’un mois, les équipes se sont mobilisées dans différents lieux du quartier notamment autour d’un kiosque pour rencontrer les résidents, expliquer le budget participatif, les sensibiliser au vote, etc. En mobilisant leurs compétences linguistiques et leur connaissance fine du territoire, l’équipe a su adapter son discours aux différents publics, dépassant ainsi certaines réticences liées à la langue, au sentiment d’illégitimité ou aux craintes concernant l’usage des données personnelles.
Le travail d’information et de sensibilisation ne s’est pas limité à la seule explication du budget participatif. Lors du webinaire, Tim, responsable du pôle solidarité chez PAM!, a souligné que le kiosque a vite dépassé sa fonction initiale pour devenir un véritable lieu de création de lien social. Des personnes qui ne se connaissaient pas se retrouvaient à échanger autour d’un verre de bissap ou d’un café. L’atmosphère conviviale attirait naturellement d’autres habitants, qui allaient et venaient, prolongeant ainsi les discussions et les rencontres.
cc : Ville de Pantin
Très vite, les échanges ont dépassé le simple cadre du budget participatif. Il parlait des activités de PAM!, du droit à l’emploi et d’autres sujets qui touchaient directement la vie des habitants. Au départ, l’équipe était réticente à cette méthode, soucieuse de rester dans un cadre strict et structuré autour du budget participatif. Le plus important était finalement d’instaurer ces temps d’écoute, d’échange et de vivre-ensemble, afin de montrer à chacun qu’il avait sa place dans ces démarches. Selon lui, il était crucial de dépasser cette première barrière du “Ce n’est pas pour moi” ou "De toute façon, je ne peux pas voter, je ne suis pas français.“ Créer une parenthèse, prendre le temps d’écouter, c’est ce qui a réellement fait la différence”, conclut Tim.
“Créer une parenthèse, prendre le temps d’écouter, c’est ce qui a réellement fait la différence”
Cette approche a eu un impact significatif : la participation à la phase de vote a augmenté de 20,3 % par rapport à l’édition précédente, atteignant un record. En 2024, 54 % des votes ont été réalisés en physique, contre 45 % en 2022, preuve de l’efficacité de la mobilisation sur l’espace public et du rôle crucial joué par PAM!.
Grâce à ces efforts, les projets lauréats ont été mieux répartis entre les quartiers, notamment dans les Quatre-Chemins. L’objectif est désormais de pérenniser ce dispositif et de l’affiner pour 2025, en consolidant les retours d’expérience et en ajustant les actions pour aller encore plus loin dans l’inclusion de toutes et tous.
cc : Ville de Pantin
Rompre le cercle des "TLM" et ouvrir la participation citoyenne à un public plus large nécessite une approche proactive et adaptée aux réalités locales.
L’exemple de Pantin et de PAM! illustre l'importance des stratégies de proximité, de l’implication d’acteurs de terrain et de la création de liens de confiance avec les habitants.
En poursuivant ces expérimentations et en affinant les dispositifs mis en place, les collectivités et les acteurs de la participation citoyenne peuvent espérer bâtir des processus plus accessibles à toutes et tous.