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On a écouté : « Le numérique de l’État »


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Dans le cadre de son programme hebdomadaire Soft Power, Frédéric Martel recevait ce dimanche 3 décembre Henri Verdier, directeur interministériel du numérique de l’Etat français, pour une émission sur « le numérique de l’Etat ». Ils ont été rejoints en seconde partie par Paula Forteza, députée La République en Marche, et Nicolas Princen, ancien conseiller au numérique de Nicolas Sarkozy, pour un débat : « Où en sont les civic techs en France ? ». Nous avons relevé et annoté quelques passages.


La révolution numérique

Ces révolutions-là, qui sont des révolutions industrielles totales, ne réussissent jamais si on n’a pas les institutions adaptées. — Henri Verdier

Nous rejoignons complètement Henri Verdier. C’est le sens de la mission première de Parlement & Citoyens (le projet fondateur de Capco) et maintenant Purpoz, que d’outiller le Parlement français pour lui permettre de s’adapter aux besoins et aux moyens de l’époque. Nous ne nous sommes jamais posés en contradicteur du système mais en accompagnateur de sa transformation, en travaillant de l’intérieur avec celles et ceux — quelle que soit leur sensibilité politique — qui veulent et peuvent le changer, et tendre vers davantage de transparence et de participation.

J’espère que l’Etat redeviendra ce coeur d’intelligence collective qui permettra à la société française toute entière de réussir sa révolution numérique. — Henri Verdier

Nous espérons que cette réussite passera effectivement par un énorme élan d’intelligence collective. Reste une condition : que la révolution numérique ne soit pas une fin en soi, mais un formidable moyen pour un Etat-plateforme de transformer les institutions pour les rendre plus efficaces, plus ouvertes à la participation des citoyens à la co-construction des décisions qui les concernent.


La « civic tech »

On décrit sous civic tech un certain nombre d’entreprises menées par des gens qui veulent changer le monde et qui utilisent pour cela les données ou les missions de l’Etat, des missions d’intérêt général. […] Cela recouvre des univers extraordinairement divers. — Nicolas Princen Il existe deux grandes familles de civic tech : d’abord, plutôt celle des start-ups, des entreprises, qui cherchent à développer un business model autour, par exemple, de la vente de logiciels, de services, ou de l’exploitation de données personnelles, et qui cherchent à nouer des contrats avec le secteur privé ou le secteur public. D’un autre côté, les acteurs qui proviennent plutôt des associations, des mouvements sociaux, et qui travaillent plutôt sur des briques de logiciels libres, qui contribuent de façon un peu plus bénévole à ce qu’ils appellent des « communs numériques », des outils qui peuvent être partagés, réutilisés par tout le monde, auquel tout le monde peut contribuer. — Paula Forteza

Si ces deux spécialistes du numérique sont d’accord sur l’hétérogénéité des propositions faites par la civic tech aujourd’hui, la description des « entreprises enthousiasmantes », « qui veulent changer le monde », nous convient mieux que la classification un poil manichéenne suggérée par la députée en marche. Cette représentation d’une réalité ressentie et son vocabulaire très étudié  — d’un côté les « start-ups », « entreprises », « business model », « vente », « contrats » et d’un autre côté les « associations », « mouvements sociaux » (sic), « logiciels libres », « bénévole », « communs », « partagés » — est relativement surprenante venant d’une députée issue d’un mouvement politique qui veut dépasser le clivage gauche-droite, ici maladroitement reconstitué à travers le prisme de la technologie.


On passera aussi sur la naïveté de l’expression « un peu plus bénévole » : aujourd’hui, le marché de la civic tech, que nous connaissons bien car Cap Collectif en fait partie, est partagé par deux ou trois dizaines d’acteurs, dont certains font effectivement la promotion de logiciels open source. Or, à notre connaissance, ces acteurs ne travaillent ni de manière « bénévole », ni « un peu plus bénévole » : ils ont eux aussi à vivre de leur activité, qui passe souvent par des prestations de services autour du logiciel qu’ils promeuvent, comme le développement de fonctionnalités spécifiques ou l’accompagnement intellectuel de la démarche. Récemment, la SARL Open Source Politics a ainsi été choisie par l’Assemblée nationale pour mener une consultation numérique sur la réforme de l’institution, au terme d’un appel d’offres commercial mené à la régulière.

La grande problématique étant : est-ce qu’elles [les civic techs] développent un savoir-faire, une technologie ou un angle suffisant pour pouvoir durer et accompagner le débat démocratique qu’elles souhaitent contribuer à structurer, après une élection ? C’est ce qui reste à vérifier. — Nicolas Princen

Cet excellent point permet de rebondir sur une question plus large, débroussaillée par Henri Verdier dans son propos introductif. Que voulons-nous faire avec la civic tech ?


Créer, dans le meilleur des cas, une force de proposition ou un contre-poids citoyen, voire un contre-pouvoir ? Nous parions sur une troisième voie que n’aborde même pas l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy : celle qui considère la civic tech comme un accompagnateur de la transformation politique, et non la matérialisation d’un courant citoyen qui aurait pour mission de « faire (bonne ou mauvaise) pression » sur le politique pour parvenir à ses fins.

Réduire la civic tech à un mouvement citoyen (civic) est le piège dans lequel de nombreux observateurs sont tombés par ignorance, naïveté ou calcul. Car il réduit la technologie (tech) à un ustensile politique qu’il conviendrait de sortir lorsque l’actualité et/ou l’agenda du pouvoir décideraient qu’il est temps de « mettre les citoyens » en avant — notamment au moment des élections, où il est de bon ton (électoraliste) de glorifier la citoyenneté qui sommeille en nous.


Chez Capco nous pensons que la démocratie n’est pas un rendez-vous. Et la civic tech n’est pas une finalité citoyenne qu’il suffit d’agiter au bon moment pour obtenir des résultats, simplement parce que, comme insistera Verdier en conclusion, « le simple fait de venir de la société civile vous rend[r]ait compétent ». Intégrer la machine grâce à une connaissance pointue de ses rouages, dénicher les innovateurs, les outiller et les accompagner dans la transformation : c’est le parti-pris que nous avons adopté dès 2013 avec Parlement & Citoyens puis à partir de 2014 avec Cap Collectif et ensuite avec Purpoz. Il s’agit d’un travail de chaque jour, éprouvant mais gratifiant, qui répond à une vision — celle d’une société fondée sur la collaboration des individus qui la composent — et non à une dérisoire logique d’agenda.


L’impact


Les civic techs sont rentrées dans une espèce d’impasse par rapport à la promesse initiale : il y a un manque d’impact politique, social et économique. En termes politiques les citoyens sont de plus en plus exigeants donc ils ne vont plus participer à des initiatives sans être certains que leurs contributions va avoir un impact dans la décision politique. Donc il faut coordonner de façon plus proche avec les acteurs politiques. Du point de vue économique, on se disait que tous les VC (capitaux-risqueurs) de la Silicon Valley recherchaient des investissements et que les civic techs étaient le pari d’avenir. Là maintenant, elles sont toutes en train de devenir des fondations plutôt que des entreprises. Et pour l’impact social, il y a une espèce d’élite numérique qui est en train de monter, qui arrive à avoir un impact majeur dans ses consultations et à pouvoir faire ressortir leurs contributions. — Paula Forteza

Nous saluons ici la grande clairvoyance de la députée, malgré notre scepticisme concernant « la promesse initiale » dont nous n’avons pas réussi à retrouver la trace.

Nous partageons évidemment le constat qu’il existe un risque important de fracture d’usage des plateformes participatives, concrétisé par « une espèce d’élite » doublement acculturée au numérique et à la politique. Mais s’il est difficile aujourd’hui de percevoir cette population déconnectée (que cette fracture numérique et/ou de la chose publique soit volontaire ou pas), nous notons que cette difficulté à générer de la représentativité n’est pas propre à la civic tech : il suffit de comparer le nombre d’ouvriers et d’employés à l’Assemblée nationale (3% des 577 élu.e.s) avec leur nombre effectif dans la population.


Sur le regret exprimé par la députée que la civic tech n’ait pas été largement investie par les capitaux, nous sommes plus perplexes : en effet, plusieurs entreprises actives du secteur, comme Make.org, bluenove, Fluicity ou encore Cap Collectif, ont eu recours depuis 2014 à des levées de fonds leur permettant de prolonger leur développement et de poursuivre leur mission d’essaimage de cette culture de la participation. Mais la règle de ces apports capitalistiques est relativement simple : on ne prête qu’à ceux dont le modèle est viable, documenté et compréhensible. C’est apparemment le cas pour ceux cités plus haut, qui rassemblent à eux quatre un très grand nombre de projets participatifs, dont certains d’envergure, ayant permis à plusieurs centaines de milliers de citoyens (pas forcément des espèces d’élites, d’ailleurs) de co-construire de la décision publique.


On en vient donc à la question de l’impact. Et si les entreprises qui proposent des solutions générant directement ou indirectement de l’impact avaient davantage de chance de réussir leur développement que celles qui théorisent sans pratiquer ou qui cherchent finalement à remplacer plutôt qu’à renforcer ?


Paula Forteza a raison : les citoyens sont de plus en plus exigeants. C’est en partie le fruit de notre travail collectif. Et s’ils sont prêts à participer à la condition que cette participation aura un impact sur la décision publique, il s’agit bien de la responsabilité de celui ou celle qui est responsable de la décision publique. Tout l’enjeu repose donc sur l’investissement réel du politique, sur ses engagements et sur l’action concrète qu’il ou elle engage après la phase de participation citoyenne.


Ce qui implique de cesser de faire reposer le succès de la participation sur un outil ou sur un peuple et de se décharger sur eux lorsqu’une « impasse » surgit. L’outil et le peuple donneront le meilleur d’eux-mêmes si le décideur politique fait sa part 😉

D’ailleurs Paula Forteza reste lucide, et Nicolas Princen ne dit pas mieux  :

Il y a une grosse défiance vis-à-vis des responsables politiques, mais les civic techs peuvent aider à répondre à cette défiance. Mais ça va se faire uniquement si les civic techs travaillent main dans la main avec les responsables politiques, ce n’est que de cette façon qu’on aura un vrai impact. — Paula Forteza L’impact, on le constate déjà : il vient des gens qui ne se disent pas nécessairement qu’il faut contester ce qui existe, qu’il faut une solution de remplacement, mais ceux qui créent de vrais outils qui ont de la valeur pour l’Etat, pour prolonger son effort. — Nicolas Princen

Demain


« Main dans la main », « prolonger l’effort ». La conclusion de l’émission est donnée à Henri Verdier, chargé de faire cohérence dans un système complexe et qui tente d’envoyer un peu de rêve à la multitude :

D’un côté il y a des gens qui font des outils, c’est formidable : il faut des budgets participatifs, des concertations ouvertes, transparentes, auditables et vérifiables, etc. Ensuite il y a des civic techs qui se posent en contre-pouvoir — mais dans ce cas-là qu’ils le fassent, qu’ils ne demandent pas à l’Etat de les aider à être des contre-pouvoirs. […] Et puis au milieu il y a cette zone : est-ce qu’on peut penser une action publique plus distribuée, mieux assise ? […] Il y a des zones de co-construction où, si l’Etat fait un bout de chemin et la société civile structurée et réfléchie fait un bout de chemin, on peut faire des choses magnifiques. — Henri Verdier

Faire des choses magnifiques : et si, au-delà des « business models », il restait à disséminer une simple et véritable vision du monde ?


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