Participation citoyenne et période de réserve : le guide pratique pour les collectivités
- emmeline
- 19h
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La période préélectorale soulève de nombreuses interrogations pour les collectivités territoriales : peut-on poursuivre ses démarches participatives ? Comment éviter tout risque de propagande ? Quelles sont les bonnes pratiques à adopter ?
Marie-Céline Battesti, Présidente de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs (CNCE) a participé à notre webinaire du 16 octobre 2025 pour répondre à ces questions essentielles. Voici les enseignements clés de cette session qui a réuni de nombreux professionnels des collectivités territoriales.
Comprendre la période de réserve et ses enjeux
Depuis le 1ᵉʳ septembre 2025, les collectivités sont entrées dans une période particulière qui durera jusqu'aux élections municipales des 15 et 22 mars 2026. La particularité ? La période de réserve préélectorale demande aux autorités administratives d’adopter une posture neutre pour ne pas influencer le scrutin à venir.
Calendrier des élections

Marie-Céline Battesti, forte de son expérience de fonctionnaire territoriale, rappelle un point fondamental : cette période ne constitue pas un blackout total sur les actions de la collectivité. Elle insiste sur la nécessité de trouver le bon équilibre entre la continuité du service public et l'évitement de toute forme de propagande.
Le principe fondamental : assurer la continuité sans tomber dans la propagande
Les collectivités doivent continuer à assurer la continuité du service public en respectant une neutralité de fond et de forme. Cela implique de maintenir les proportions et le calendrier habituels de leurs communications, sans créer d'événements exceptionnels qui pourraient être perçus comme des opérations de promotion électorale.
La sobriété éditoriale devient le maître-mot sur tous les supports de communication. Le ton doit rester informatif et factuel, évitant toute tournure qui pourrait valoriser l'action d'un élu candidat.
Le risque à éviter absolument est celui de la propagande, qui pourrait donner un avantage électoral injustifié à un candidat en utilisant les moyens de la collectivité à des fins de campagne. Ce risque peut entraîner un recours contentieux et, dans les cas les plus graves, une invalidation du scrutin ou/et inéligibilité du candidat.
Marie-Céline Battesti souligne que les fonctionnaires territoriaux ont un rôle crucial de conseil auprès des élus pour créer un cadre qui soit à la fois apaisé, serein et sécurisant.
Les règles pour vos dispositifs participatifs
Les démarches de concertation et débat public
La Commission Nationale du Débat Public (CNDP), autorité administrative indépendante, a établi des directives qui s'imposent à ses garants et aux membres des commissions particulières du débat public (CPDP). Ces règles traduisent une exigence de neutralité absolue dans l'organisation des débats publics.
Dès le début de la période de réserve, les garants qui seraient candidats à une élection doivent cesser leur mission.
Par ailleurs, lors des réunions publiques organisées dans le cadre d'un débat public, aucun élu candidat ne peut prendre la parole. La CNDP recommande de trouver d'autres personnes pour assurer ces interventions, préservant ainsi la neutralité du processus.
Les enquêtes publiques : une position pragmatique
La CNCE adopte une position sensiblement différente de celle de la CNDP. Forte de son vivier d'environ 3 000 commissaires enquêteurs, la CNCE considère qu'il est possible de mener une enquête publique pendant la période électorale, sous réserve de respecter certaines conditions essentielles.
La logique est claire : l'objectif d'une enquête publique ne disparaît pas parce qu'il y a des élections. Une enquête peut se tenir si elle s'inscrit dans le calendrier habituel du projet, si le ton reste neutre et s'il n'y a aucune campagne derrière.
Cependant, Marie-Céline Battesti observe que dans la pratique, de nombreuses collectivités ont choisi la prudence en reportant leurs enquêtes sur des sujets particulièrement sensibles comme les Plans Locaux d'Urbanisme. Mais ce report n'est pas une obligation juridique : il traduit simplement une approche prudente face aux risques contentieux.
Les projets participatifs volontaires
Les projets participatifs peuvent se poursuivre normalement s'ils correspondent à une pratique habituelle. Le lancement d'une nouvelle édition, la proclamation des résultats ou les inaugurations restent possibles en respectant les principes de neutralité.
Les questions essentielles avant de lancer une action participative
Avant de lancer ou de poursuivre une action participative, plusieurs questions structurantes doivent être posées :
L'action s'inscrit-elle dans la continuité ? S'agit-il d'une étape prévue d'un processus déjà engagé ?
Le calendrier est-il accéléré ? Évitez d'anticiper ou de retarder des projets pour créer une vitrine électorale.
Les élus impliqués sont-ils candidats ? Leur présence et leurs prises de parole doivent être strictement neutres.
En cas de lancement d'une nouvelle démarche : s'agit-il d'un projet d'intérêt général ? Est-il urgent de le lancer ?
Marie-Céline Battesti reconnaît qu'il n'existe pas de réponse binaire, automatique, à ces questions. C'est un faisceau d'indicateurs qui permettra aux agents et aux élus de prendre une décision éclairée. Cette approche pragmatique reflète la complexité de la réalité administrative où chaque situation doit être appréciée dans son contexte spécifique.
Neutralité de fond et de forme : les règles concrètes
La neutralité doit irriguer l'ensemble de la communication de la collectivité. Le ton adopté doit être résolument informatif et pédagogique, excluant toute forme de bilan de mandat glorificateur.
Deux situations doivent être distinguées :
L'élu communique à titre de candidat, avec ses propres moyens : c'est normal et légitime
La commune publie un bulletin récapitulatif : si c'est habituel, la tonalité doit rester strictement informative, sans valorisation excessive
Marie-Céline Battesti met en garde contre une tendance à l'excès de prudence qui paralyserait l'action publique. Elle l'affirme sans ambiguïté : “Nous sommes peut-être tous en train d'angoisser sur ces sujets à tort, si nous mettons en place les bons garde-fous.”
Organiser des événements et gérer les plateformes participatives
Les événements
L'intitulé même de l'événement doit être factuel et neutre : privilégiez "retour d'enseignements" plutôt que "nos réussites". L'animation doit être confiée à des techniciens ou à des garants externes plutôt qu'à des élus candidats.
Le format doit rester proportionné aux pratiques habituelles de la collectivité. Marie-Céline Battesti partage une astuce précieuse : faire signer un engagement de neutralité aux intervenants, s'inspirant de la pratique de la CNDP.
Les plateformes participatives et réseaux sociaux
Si votre collectivité utilise une plateforme participative tout au long de l'année, il n'y a aucune raison que cela s'arrête pendant la période électorale. Vous pouvez maintenir les démarches en cours tout en gelant toute mise en avant exceptionnelle.
Face aux inquiétudes des élus, un bandeau de neutralité affiché sur vos plateformes peut s'avérer très utile. Il permet d'informer le public de la situation et de rassurer les élus sur la conformité de vos pratiques.
Le public comprend généralement bien qu'il existe des périodes où la collectivité ne peut pas tout faire. Cette transparence contribue à renforcer la confiance dans les institutions.
Les instances participatives
Les comités de pilotage (COPIL), comités de projet (COPRO), conseils de quartier et conseils de citoyens peuvent poursuivre leur marche habituelle.
La principale vigilance concerne les interventions des élus candidats, qui doivent rester strictement neutres. Un briefing préalable est recommandé, complété idéalement par un engagement de neutralité signé, selon la méthode de la CNDP.
Les ressources disponibles en cas de doute
Face à une situation incertaine, les agents territoriaux disposent de nombreuses ressources. Au sein de votre collectivité, selon sa taille, vous pouvez vous tourner vers :


Marie-Céline Battesti souligne que cette question de la période de réserve et de la campagne électorale revient régulièrement dans toutes ces structures. Vous trouverez donc une littérature abondante sur le sujet, fruit de l'expérience accumulée au fil des scrutins.
Une jurisprudence rassurante
Marie-Céline Battesti a mené une recherche dans la jurisprudence administrative. Le résultat est rassurant : elle n'a trouvé aucun cas d'annulation d'élections lié uniquement à un dispositif de démocratie participative.
L'affaire de Crest (Drôme), jugée le 16 février 2021, est particulièrement éclairante. Malgré une augmentation du budget participatif et un lancement anticipé de l'appel à projets, seules les prises de parole du maire avant des séances de cinéma ont été qualifiées d'opération de promotion. Ces éléments n'ont toutefois pas conduit à l'annulation des élections.
Cette décision montre que le juge adopte une approche globale et proportionnée, cherchant à déterminer si l'ensemble des pratiques a réellement faussé l'expression démocratique.
Trouver le juste équilibre
Les enseignements de ce webinaire convergent vers une approche équilibrée : maintenir la continuité du service public et des dispositifs participatifs déjà engagés, tout en adoptant une posture de neutralité rigoureuse.
Les collectivités peuvent et doivent continuer à informer leurs citoyens et à les associer aux décisions qui les concernent, y compris pendant les six mois précédant les élections.
Les principes simples à respecter :
Conserver ses rythmes habituels de communication sans créer d'effets exceptionnels
Adopter un ton strictement informatif en évitant toute valorisation d'élus candidats
Maintenir les démarches participatives déjà lancées selon leur calendrier initial sans manipulation artificielle des délais
Documenter ses choix pour pouvoir les justifier en cas de contestation
Les fonctionnaires territoriaux jouent un rôle crucial de conseil auprès des élus pour naviguer dans cette période délicate. La jurisprudence rassurante montre que le juge administratif ne cherche pas à sanctionner les collectivités qui maintiennent leurs activités normales dans un esprit de neutralité. Il sanctionne en revanche les abus manifestes où les moyens publics sont détournés au profit d'une campagne électorale.
Pour aller plus loin
Vous avez des questions spécifiques ? Notre FAQ complète organise plus de 50 questions
concrètes par thématiques :
🏛️ Communication institutionnelle : vœux, éditos, nouveaux projets, prises de parole…
💰 Budgets participatifs : lancement, proclamation, inaugurations…
🎉 Événements et inaugurations : projets programmés, partenariats, commémorations…
🗣️ Concertations citoyennes : consultations, ateliers, réunions publiques…
👥 Instances participatives : COPIL, conseils de quartier, conseils de citoyens…
💻 Outils numériques et réseaux sociaux : plateformes, Facebook Live, newsletters…
🎯 Rôle et présence des élus : statut de candidat, réunions bilans…
🤝 Animation externe et garants : recommandations CNDP, tiers facilitateurs…
Consultez également notre arbre de décision dès demain pour vous guider pas à pas dans l'évaluation de votre situation spécifique.
